mardi 15 juin 2010

Article n°62 :

Il existe donc une fin à la première année de médecine. Attendue, espérée, implorée dans une longue agonie, mais quand la fin se présente enfin à vous, elle donne l’impression d’un vide émotionnel et intellectuel. C’est fini. Et après ? La tête dans le guidon depuis des mois, vous n’aviez pas pris le temps de faire des projets ; les projets étaient inutiles, seul comptait le travail, l’acharnement, les prières et les sanglots.
Et maintenant, me voici colportée en campagne, parmi les grillons et les crapauds, à contempler les cailloux et l’onde que dessine la pluie en surface des flaques d’eau. Assommée, perdue, je me secoue en aménageant cette chambre nouvelle, et je peux enfin mettre le temps à profit pour des plaisirs dont j’ai été privée pendant une éternité. Des trucs de fille. Je parle avec ma mère. Je lis. Je chante, et les notes approximatives résonnent entre les murs blancs et nus.
Je vibrais depuis octobre pour le même garçon ; depuis quelques jours ce garçon n’est plus célibataire. Sous le choc de la nouvelle, j’ai descendu cul-sec une bouteille de Badoit. J’ai roté pendant tout le quart d’heure qui a suivi. J’ai cherché la photo de profil de l’heureuse élue, et mes convictions se sont vues confirmées : si ce canon est son genre de fille, évidemment que je n’avais aucune chance. J’ai décidé que je ne serais pas triste, et puis après tout je n’en ai rien à faire, je suis bien trop occupée ici à me débattre avec les mouches. Etre seule n’est pas si terrible.
Ce n’est pas si terrible.
Je vais me remettre à écrire. Je vais travailler pour que les mots reviennent. Je vais consulter tout type de littérature pour retrouver du vocabulaire qui ne se rapporte pas à de l’anatomie, de la physiologie ni de la santé publique. Je ne vais plus avoir à étouffer Sophie. Je vais exterminer les comédons et les excès graisseux. Je vais rattraper le manque de sommeil qui ne se compte plus en heures, mais en siècles.
Je vais passer du temps avec mes amis, s’ils se rappellent de moi. Je vais regoûter à l’oxygène autrement qu’en ouvrant la fenêtre de la chambre : je vais sortir de chez moi. Sans scrupules.
C’est la fin de deux ans de parenthèses. Et la vie reprend.
Free at last.