samedi 26 septembre 2009

Article n°53 :

C’était l’été. La semaine de vacances au camping. Il faisait chaud, nous partions pour un quart d’heure de marche à pieds vers la Baie de Loya, où nous pourrions barboter en toute fraîcheur et en relative intimité. Et puis ça ferait de bonnes photos.
Thomas junior nous accompagnait, le frère de Jérémy ; il avait six ans à l’époque, nous seize. Il avait longuement pleuré le matin, pour la juste raison qu’il n’arrivait pas à dessiner de jolies tortues.
Au début du trajet, je l’ai pris près de moi, et j’ai voulu me donner le ton rassurant : « Tu sais Thomas, tu comprendras plus tard qu’il existe des choses bien plus importantes que de savoir dessiner les tortues. »
Et ce fourbe de gosse, comme l’auraient fait tous les gosses, a ainsi trouvé l’audace de répliquer :
Thomas : « Comme quoi ? »
Lisa : « Le sexxxe … »
Sophie : « LE TRAVAIL ».

mardi 22 septembre 2009

Article n°52 :


FALL.


J’ai toujours aimé l’automne. Tant de fois j’ai rêvé d’être aussi morte que ces feuilles ocres et rougeoyantes, tombant des sommets vers le caniveau froid et humide, tremblotant sur le filet d’eau sale qui y fait cours. Me laissant porter par les timides bourrasques de l’octobre imminent. Craquant sous le passage des piétons. Batifolant avec un coin de trottoir dans un fond de rue. Aujourd’hui le brouillard est poussiéreux, les particules laiteuses en suspension dans l’air s’approprient un droit de carnage sur mon brushing. Mais c’est ainsi, l’automne. Il faut renoncer au teint frais et s’engager dans la chasse aux champignons. Il faut renoncer aux tissus légers et courts, aux émotions estivales, et faire un travail de classement dans les dossiers « souvenirs de vacances ». Il faut toujours glisser un parapluie dans son sac à main. C’est ainsi, l’automne.

dimanche 6 septembre 2009

Article n°51 :

C’est dimanche après-midi au parc. Les couples, les familles se promènent au soleil, marchant le long des allées de graviers. Les enfants ont fini leurs devoirs du week-end, et on a ressorti les ballons, les planches à roulettes ; on dévale la pente des pelouses, on rit joyeusement en oubliant que demain c’est encore un lundi.
Les premiers marrons sont tombés des chênes, annonciateurs d’un proche automne, mais il fait encore chaud sous les rayons de septembre et l’on recherche des bancs à l’ombre. Je marche seule entre les carrés de verdure. Sur le tronc des arbres, plus loin qu’à hauteur des yeux, de petites pancartes affichent le nom de l’espèce. Ils précisent l’appellation scientifique en latin, ce qui permettrait à maman de s’arrêter tous les cinq mètres en s’exclamant, tiens, voilà un Cercis Siliquastrum ! Et là, un vieux Fraxinus Excelsia. En feignant de s’y connaître. Et je me moquerais d’elle en disant qu’elle est aussi experte en branchus que moi en théologie berbère. L’originale, par la réécriture.
Moi aussi plus tard, je veux une famille à balader au parc le dimanche après-midi. On gardera les restes de pain dur de la semaine, on mettra tout ça dans un sac plastique biodégradable que j’accrocherai à la poussette, puis on les jettera aux canards et aux gros poissons qui se rueront sur chaque morceau comme des bêtes affamées qu’ils ne sont pas. Je rappellerai à Tom qu’on ne donne pas de coups de pieds dans les poules d’eau, et je dirai à Théo de ne pas manger les cailloux, c’est sale.

vendredi 4 septembre 2009

Article n°50 :

Ce soir on mange ensemble, avec mes parents. C’est incroyable qu’à coups de solitude forcée, j’en sois arrivée à espérer leur venue. J’attends leur coup de fil du soir, c’est la seule conversation de la journée dont je puisse bénéficier. Oui les vendeuses m’adressent la parole dans leurs magasins, mais c’est aussi leur métier qui l’exige ; je ne peux rien en tirer de gratifiant. Quoique chez Sephora, je me serais bien passée de celle qui m’annonce en caisse, devant une file d’autres clientes, que de prendre la pilule serait une solution efficace à ma micro-acné. Ce à quoi je réponds « Et ta sœur, je vais lui insinuer de la pilule par tous ses interstices ». Non, ce à quoi je réponds en vrai « Au revoir, merci », après m’être saisie du ticket de carte bleue. Voyons son prénom … Mélissa. Toutes des connes, les Mélissa. Je n’en connais pas.
Dans le tram du retour, et sur le trottoir, je sens quelques regards de garçons qui glissent sur moi. Peut-être ne suis-je pas si transparente que ça ? Peut-être ai-je un charme qui agit enfin.
Dans la salle de bain, le constat est à la fausse alerte. J’avais du noir autour de la bouche ; parce que j’ai coincé le journal entre mes lèvres pour pouvoir fermer mon sac. C’était il y a au moins vingt minutes. Un tiers d’heure que je me trimballe avec la figure sale, et si ça se trouve, à un moment j’ai même dû sourire avec cette tronche de ramoneuse.
Je me sens conne, nom d’une tringle. Je suis la fille qui oublie de fermer son parapluie quand il cesse de pleuvoir. Qui récupère sa monnaie et repart sans la baguette de pain qu’elle vient d’acheter. Qui sort une vacherie alors que dans sa tête, ça sonnait plutôt comme un compliment.

jeudi 3 septembre 2009

Article n°49 :

J’ai envie de les apostropher dans les rues, de près ou de loin : « Eh, lâche ta pétasse et regarde-moi ! Je fais du 38 mais ça peut s’arranger, je sais cuisiner les cookies, et puis mes yeux sont bleus, c’est joli les yeux bleus, tout le monde dit que c’est joli les yeux bleus ».

A un âge auquel je ne savais pas encore parler, mes parents m’ont rapporté qu’un homme s’était adressé à moi dans ces termes : « T’as des yeux à faire péter les boutons de braguette ». J’aimerais le retrouver, je ne sais pas où il est maintenant, ni à quel point il est fripé, pour lui lancer quelque chose comme : « Mec, t’es qu’un vieil enfoiré. » Jamais mes yeux n’ont eu un tel effet sur quelconque bouton, ni de braguette ni de manchette, ni même d’acné. Alors on ne fait pas de promesses fantastiques à une gamine en bas âge, voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. Sinon les gamines, elles finissent comme moi ; elles engloutissent des sucreries et des lipidités pour oublier leur solitude.