samedi 7 août 2010

Article n°64 :


Je m’ennuie. Je regarde mes ongles, je les fais chevaucher les uns sur les autres jusqu’à entendre leur petit claquement sec. La fenêtre est ouverte sur l’air du soir qui s’engouffre pour rafraîchir mes draps. Le chien des voisins ne cesse d’aboyer, et j’aimerais savoir si cette bête au regard vide et au poil sale se rend seulement compte que les aboiements sonores qui inondent le quartier proviennent de sa propre gorge.
Il me faut écrire, mais écrire sur rien est une tâche aussi aisée que de faire pipi dans des toilettes à la turque sans éclabousser ses tongs.
... Le camping.


Des vacances au camping ne débutent pour ainsi dire que lorsque la toile de tente est édifiée et les matelas gonflés. On considérera la déshydratation monumentale que provoque le fait de planter des sardines sous un tissu de nylon-polyester exposé en plein soleil, transformant l’abri de circonstance en un bocal accumulateur de degrés celsius. Et on ne manquera pas non plus de se reposer la question sur le pourquoi du mot « sardine ». Car je ne veux pas croire qu’en des ères primitives, nos ancêtres aient commencé à dresser leurs bivouacs à l’aide de poissons d’eau de mer de type sardina pilchardus.
Le campeur ne doit pas craindre de divulguer au grand jour ses intentions d’uriner ou de déféquer, lorsqu’il entreprend de parcourir les allées jusqu’aux sanitaires un rouleau de papier rose à la main. Ceci d’ailleurs, quels que soient la couleur ou les motifs qu’affichent le rouleau. Un campeur complexé par cet objet, cherchant à le dissimuler dans sa trousse de toilette, à l’empaqueter dans sa serviette de douche, ou encore à prédécouper le nombre précis de feuillets nécessaires avant la commission, est un campeur dans le péché qui devra expier sa faute au moment du Jugement Dernier. Car le Seigneur regarde le campeur. Toujours.
Animé donc d’un désir de propreté ou de soulagement lorsqu’il se rend aux sanitaires, le campeur prendra garde de ne pas déraper dans les flaques des autres, et de suspendre de façon efficace ses affaires aux crochets prévus à cet effet. Sous peine de retrouver ses biens éparpillés dans la crasse humide des carrelages. Le bon campeur profite de sa toilette pour prendre des nouvelles des araignées, coléoptères et autres compagnons d’aventure qui partagent sa cabine de douche ou sont domiciliés au-dessus du lavabo.
En effet, le campeur est en harmonie avec la nature. C’est avec courtoisie qu’il chasse la guêpe d’un revers de poêle, qu’il met hors d’état de nuire un moustique d’un coup de tong, qu’il rend la liberté à un crapaud réfugié sous la toile de tente. C’est avec bon cœur qu’il cède le paquet de bichocos à une colonie de fourmis qui l’a déjà investi. Le campeur pète et éructe en plein air ; c’est une offrande qu’il soumet à l’environnement, en tant qu’organisme carboné bien tenant et reconnaissant.
Mais Mère Nature reste toute-puissante et se sent parfois l’envie de rappeler aux touristes oisifs et engourdis de vacances, sa supériorité musclée, à coups de déluges bibliques ou bien d’invasion d’insectes suceurs de sang. C’est une noble façon de punir les excès d’apéritif, de barbecue ou d’inepties prononcées à tire-larigot entre deux applications de crème solaire.
Mais le campeur, une fois les bagages rentassés dans le coffre de la voiture, se trouvera déjà nostalgique de son séjour et se surprendra à jalouser les nouveaux arrivants qui sont en train de clouter la toile sur l’emplacement d’à-côté. Il positivera sur ses souvenirs et tentera, enfermé dans son chez-lui citadin, de reconstituer la saveur du contexte à coups de crèmes glacées et de bains d’eau salée. Le campeur de retour en ville sera frustré de trouver dans ses WC du papier en abondance outrancière et du désodorisant prédisposant à l’asphyxie, sera navré de retrouver des rues chargées de gaz d’échappement et dénuées de vie végétale.


Mais surtout, surtout, le campeur pleurera de baisser son slip sans qu’une cascade de sable ne s’en déverse jusqu’aux chevilles.