lundi 31 août 2009

Article n°48 :


Ce que je trouve quand je me réinstalle : la ville irrespirable et étouffante. Les Bordelaises, une barrette dans les cheveux lisses, jolie tunique sur minces gambettes, à côté de qui j’ai l’impression d’avoir un vague lien de parenté m’unissant aux paillassons. Mon trottoir jonché de déjections canines. Le tram, supposé me servir toutes les dix minutes, mais pour cause d’incident technique ou de « mouvement social », ce sera un trajet pédestre. Les voisins qui ne pensent pas à se faire discrets. Le frigidaire qui va me réveiller tous les trois quarts d’heure. Et les boules quiès qui feront inévitablement amies-amies avec mes chers tympans, dans ce charmant cadre qu’est le conduit auditif.
J’étais ravie de reposer mes bagages ici. Je me suis violemment fritée avec mes parents, ils n’ont pas compris que c’était le stress qui parlait pour moi. Ils ont probablement confirmé sur ma personne l’opinion d’une pauvre garce exécrable, odieuse et ingrate. Ils ont probablement raison.
Ce que je quitte quand je me réinstalle : à peu près tout. On dirait que quelqu’un s’amuse à forer dans mes tripes.
J’y suis. Et je vais y rester.

mercredi 26 août 2009

Article 47 :


Les douceurs touchent à leur fin. Les petits bonheurs perdent leur saveur excitante. L’euphorie du « tout est permis » retombe, les semaines ne s’étendent plus à perte de vue et l’horizon des vacances d’été se bouche. C’est le crépuscule sur le programme des réjouissances. Le jour raccourcit, tu te lèves plus tôt que le soleil, les émissions reprennent, et la télé reprendra un peu de qualité quand tu ne pourras plus la regarder. En attendant, elle diffuse que « Le cheval, c’est trop génial ». Ma mère, elle, diffuse toujours les mêmes choses. Elle parle, elle parle tellement, elle m’épuise à dilapider autant de salive et à distiller des insipidités gratuites. Pas besoin d’un boulot à temps plein, elle se surmène elle-même rien qu’en engageant une conversation. Je ne l’écoute plus. Sauf quand ça m’arrange.

Et c’est comme ça, les gens, s’ils se manifestent trop, ils finissent par nous sortir par les yeux. Je sens que j’écris trop, que ça ne t’intéresse pas, mais si tu savais tout ce qui se passe dans ma tête. Alors le plus futile se déverse ici. Je suis comme ma mère. On est de grosses anxieuses toutes deux, à la différence qu’elle est impudique.

C’est donc la rentrée. Ça a quelque chose de triste, mais ça a aussi l’odeur du nouveau départ. Le rendez-vous chez le coiffeur, les fringues neuves, les souliers cirés, le bureau rangé, le cartable brossé, la nouvelle classe, les copains bronzés. Tout ça, c’était avant. Quand on faisait l’appel au début du cours, qu’on avait une trousse remplie de feutres, des gommettes plein les doigts, qu’on écrivait au stylo plume, qu’on faisait une peinture pour la fête des mères, qu’on gagnait des bleus et des cicatrices à la récré, qu’on se faisait servir plat par plat à la cantine.

Les temps changent. Il y a quelque chose qui coince. Je te veux encore.

lundi 17 août 2009

Article n°46 :

A chaque fois que je constate que je ne suis pas irremplaçable. Ca me lacère les chairs. Ca part du coeur, ça gagne les poumons, ça enserre la cage thoracique, ça saigne la gorge, ça éclate la rétine et ça crève les tympans, ça explose le cortex et ça accable la colonne vertébrale. Et ensuite, je perds l'usage des jambes, je tombe à genoux, ça fissure les rotules, ça malmène les ligaments, ça claque les chevilles et ça fait hurler à la mort.
Et puis c'est comme tout, ça cicatrise. Je me dis que j'aime pour avoir le plaisir d'aimer, que je n'attends pas de retour, parce que c'est vrai, je t'aime et je ne t'en demanderai jamais rien de tel. Ce tu a des dizaines de destinataires, puissent-ils le saisir comme il vient, le comprendre et ne pas m'en vouloir.

mardi 11 août 2009

Article n°45 :

Je me demande parfois, comment il l’aime, comment il le lui prouve. Je me demande ce qu’il lui écrit, comment il la fait rire, l’embrasse et l’effleure, je me demande quel frisson le parcourt quand elle lui offre son sourire. S’il respire son parfum à grandes bouffées, s’il conserve tout ce qui lui rappelle sa présence, si son cœur se perd dans la profondeur de son regard, s’il voudrait l’emmener au loin et se casser la voix à lui répéter qu’il ne veut qu’elle. S’il se dit qu’il a finalement trouvé mieux. Je me demande ces choses qu’on ne demande pas.

dimanche 9 août 2009

Réflexion sur ta vie.


Pour vivre en harmonie avec notre époque, il faut d’abord admettre cette société où les fillettes se maquillent à douze ans, achètent leur premier string à treize ans, et où les jeunes s’alcoolisent et se sexualisent à quatorze. Il serait trop honteux d’entrer au lycée avec un foie en pleine santé et un statut de puceau. En France, la moitié des gamines de 9 ans se sont déjà essayées à un régime. Et je pense qu’il sera plus sain, bientôt, de retourner à davantage de simplicité. Je constate, sans généraliser, que ce mode de vie forme des adolescents, soit stupides et inconscients, soit complexés, angoissés, pessimistes et dépressifs par-dessus le marché. Le cul entre deux chaises, émancipés de l’enfance mais loin d’être déjà capables de discernement, on leur met entre les mains de nouveaux jouets qu’ils ne sont pas encore faits pour comprendre, et par lesquels seules leurs hormones débutantes sauraient y trouver leur compte. Il est clair que l’âge de mâturité physique et l’âge de la mâturité affective s’écartent de plus en plus, laissant des collégiens frustrés qui perdent un peu pieds. Expliquons-leur qu’ils ne sont pas faits pour ça, donnons-leur quelque-chose en quoi croire, préservons-les des dangers de la passion. Amen. Non, aujourd’hui vos enfants grandissent trop vite, la faute à votre société qui expose des corps trop parfaits dans les magazines, des gens trop débiles à la télé, des pornographies sur tous les écrans. Vous ne savez plus les protéger de toutes les influences qui en découlent. Vous ne parlez plus assez. Il est temps de maîtriser tous ces flux de vulgarité, et de ne plus prendre les gens pour des oies qu’on gave d’images et de sons. Changez, changeons, maintenant.

Je crois déjà que la virginité reviendra bientôt à la mode chez les filles ; la mode, ce n’est jamais que du réchauffé, cela reste du va-et-vient au fil des époques. J’en prends pour témoin les cérémonies de mariage dont le chiffre explose après une dure traversée du désert ; les pantalons pattes d’éph, le short, les sabots, les Converse, la frange, la coupe au carré, le gras, le maigre, le bio, etc etc. Secret Story 3 nous présente parmi son casting deux jeunes chastes de dix-neuf ans, et dieu sait quel modèle ils pourront représenter pour les prépubères, pendant leurs cinq ou six mois de célébrité forcée. Peut-être cela permettra-t-il à nos jeunes de reprendre du pouvoir sur certaines choses. Peut-être est-ce d’abord cela, la liberté de la jeunesse ; d’être détaché des choses compliquées qui relèvent du domaine des adultes. De dire je t’emmerde, je fais ce que je veux comme je veux, je décide du moment et de l’endroit, de la personne et de la saison, je suis fraîche, nette et je ne te ressemble pas. Je suis moi.

Pour ce qui est du tabac, voyons, cela fait bien longtemps que les jeunes qui fument ne sont plus considérés comme des déviants. De tous âges, on a vu des cigarettes entre les lèvres de petits gars. Mais c’est toujours très drôle, quand on demande « Comment tu paies tes clopes ? », de s’entendre répondre « … Avec mon argent de poche. ». Quels rebelles, ceux qui osent l’émancipation pulmonaire mais non financière, de papa et maman. Et pour en revenir aux phénomènes de la mode, j’espère vivre assez vieille pour voir revenir le fashion façon Louis XIV, parce que des garçons en collants et culotte bouffante, c’est sûrement très tordant.

mercredi 5 août 2009

Job d'été et schizophrènes.


Désormais, j’embauche tous les matins à 8h30 carillon. Mais je m’essouffle d’abord sur la selle de vélo pendant une vingtaine de minutes. Bilan : les B’Tween n’ont pas la clim. Je gagne ainsi la Trésorerie du Centre Hospitalier Psychiatrique, moite, rouge et hirsute, malgré tous mes efforts de démêlage et de maquillage pour ne pas être assimilée aux patients légitimes de l’établissement. Les vigils hésitent le soir à m’ouvrir la barrière, ils scrutent dans mon regard l’étincelle de folie, dans mon comportement une aliénation refoulée, dans mon sac à main une camisole dissimulée. Je voudrais bien leur hurler : « JE SUIS JUSTE SOPHIE BONNIN MERCI DE ME LAISSER SORTIR », mais au fond ce serait peut-être bien le meilleur argument que je pourrais avancer pour que l’on me cloître dans l’enceinte, qu’on m’enfile une muselière et qu’on me vaccine contre la rage. Deuxième bilan : le sourire forcé est de toute évidence un signe de bonne santé mentale.
C’est stupéfiant qu’avec ce tout premier job, je commence à cotiser pour ma propre retraite. Et ma mère qui me sort : « Conserve ce contrat de travail soigneusement, tu pourras le faire valoir d’ici quelques années quand tu prendras ta retraite. » Ce quelques années m’a laissée sur le cul. Employer le terme décennies aurait non seulement été plus judicieux, mais m’aurait aussi bien moins choquée sur mes dix-neuf années qui approchent de l’ère du dentier, du déambulateur et des grosses boucles d’oreilles en or. J’avais envie de lui répondre : « Si pour moi ce n’est que dans quelques années, alors pour toi, morue, c’est demain ! ». Mais ma décence légendaire m’a préservée de déclencher un conflit aussi inutile que coûteux en énergie. Alors bon, je me suis plantée devant Secret Story et puis voilà. Et maintenant que je viens de formuler ce terrible aveu par écrit … Pirouette cacahuète.