lundi 17 janvier 2011

Article n°67 :


Ce que je voulais, c’est être danseuse, chanteuse, comédienne ou boulangère. Je me suis appliquée dans les études, mais jamais je ne m’y suis épanouie. Non par goût de l’effort, plutôt par sens du challenge, ai-je tout de même réussi à me surprendre parfois de ce dont j’ai été capable. Aujourd’hui, examinant ma bague fétiche en pierre d’onyx, minéral de l’ambition et du sang-froid, j’y ai constaté une fissure transversale. Je n’ai pu m’empêcher de l’interpréter comme le symbole évident de la cassure dans mes plans de vie. A quand l’accomplissement personnel ? Je m’essouffle parmi mes chapitres d’études et mes déambulations dans les couloirs d’hôpital. J’ai une fois encore été dépassée par mes fantasmes et par la force de mon imaginaire : les établissements de soins ne sont pas un terrain où je saurai me montrer compétente. Savez-vous créer du relationnel avec des inconnus malades, chaque jour relayés par d’autres inconnus, et savez-vous le créer de manière détachée et passagère ? A l’hôpital, je découvre l’hypocrisie des discussions sans intérêt, du flot de paroles sans profondeur qui comblent les silences et mettent le patient d’humeur confidente. Il faut arracher ses secrets au patient. Il faut le sortir de son mutisme. Il doit tout dire sur son histoire, sur l’histoire de sa maladie, sur ses antécédents, sur sa situation familiale, sociale, économique. Autant de choses qui me dérangent et que j’aimerais qu’ils gardent sous scellé dans leurs intimités. Mais le patient parle et c’est ce que l’on attend de lui ; sa coopération et sa docilité. Si le patient s’effondre, quels bons sentiments suis-je supposée exprimer ? Moi qui me trouve incapable de trouver des mots de réconfort, ou des gestes d’affection, envers mes proches les plus chers ? Comment puis-je toucher des inconnus alors que je refuse et répugne le contact physique avec autrui ?

L’indifférence à la douleur et l’intérêt exclusif du cas clinique feraient-ils de moi une bonne professionnelle de santé ? Je me suis toujours rêvée en femme carriériste, fière, orgueilleuse et intelligente, sûre et compétente sur les choix tactiques et thérapeutiques. Mais la logique, l’esprit et la confiance en moi ont toujours fait défaut. On pouvait penser que le temps et l’expérience aidant, je saurais progresser. Mais ma pierre d’onyx est lézardée, ma pensée se délabre, mes certitudes s’effondrent et mon envie s’effrite.
Que dois-je faire ?